L’ouvrage s'efforce de souligner l'intérêt d'une véritable psychologie de l'inconscient, en tant que prolongement naturel d'une psychothérapie relationnelle et, ou, d’une psychanalyse classique. Il s'efforce de démontrer l'intérêt clinique de la psychologie alchimique, à différents moments du travail analytique et de donner des précisions sur l'état d'esprit alchimique qui peut animer le thérapeute. De nombreuses illustrations cliniques sont données de cette psychologie, de ses symboles et de ses dynamiques. En précisant leur mode d’apparition, leur fonctionnalité et leur opportunité thérapeutique et en soulignant aussi leur efficacité énergétique.
L’ouvrage prend notamment appui sur les grands ouvrages de Jung que sont Psychologie et Alchimie; Mysterium Conjunctionis, et la Psychologie du Transfert Il contient aussi des développements concernant la place de la sexualité en psychologie analytique et quelques aspects qui préfigurent un futur ouvrage sur la question très énergétique du mal.
Une première question se pose : Pourquoi l’alchimie ? Qu’est que cette vieille science ou plutôt cet art si étrange pourrait nous apprendre ? La perplexité qui a saisi certains des proches de Jung lorsque il s’est engagé dans l’étude des textes anciens n’a d’égale que l’indifférence actuelle dans laquelle on tient trop souvent ce versant de la psychologie analytique quand d’ailleurs ce n’est pas la psychologie analytique dans son ensemble. Bien sûr le public initié, c’est à dire ceux qui ont plongé dans l’œuvre de Jung et de ses continuateurs, est au moins averti de l‘opportunité de l’inflexion nette de la démarche du fondateur de la psychologie analytique à partir du milieu de sa vie. La publication de ses recherches dans ses grands livres sur l’alchimie, les séminaires de Marie Louise von Franz, les évocations courageuses et passionnées de Etienne Perrot, les travaux de James Hilman, les commentaires effectués dans les Cahiers de psychanalyse jungienne, tous dans des genres très différents nourrissent le corpus et enrichissent la réflexion. Cet ouvrage, qui n’aurait pu être écrit sans les repérages phénoménologiques et les travaux herméneutiques précités, voudrait s’adresser à un public plus large que celui des spécialistes, et témoigner auprès de tous ceux qui de près ou de loin sont concernés par la psychothérapie de l’importance clinique de la connaissance de la philosophie et de la symbolique alchimique.
L’alchimie dont il s’agit, précisons-le, n’est pas celle des chercheurs d’or et des souffleurs de verre, mais celles des philosophes c’est-à-dire des amants de la sagesse. Et la sagesse comme cela a été souvent précisé par les auteurs hermétiques est celle de la nature qui parle et opère en nous, produisant des métamorphoses. Cela signifie donc que cette alchimie n’est pas purement spéculative. Elle soutient plutôt une expérience. Si les idées qui la structurent vont inspirer l’homme et le praticien, ce sont surtout les vertus qu’elle a décrites qui vont affecter le corps, l’âme et l’esprit de ceux qui se relient à son mouvement.
Cette alchimie est une médecine dont les pharmakon1 doivent être appréciés en fonction de leur ambivalence, et dont la puissance symbolique entraine l’être tout entier. Elle est un processus qui anime et transforme ceux qui se risquent, avec le discernement nécessaire, dans une aventure d’ouverture totale à l’inconscient. Autant le rappeler tout de suite, cette alchimie là est difficilement pensable, expérimentable et compréhensible, sans le recours aux images : rêves et imaginations actives. Elle mérite donc le nom de «voie humide ».2
Jung et l’alchimie
Jung, on le sait, dès les années vingt s’intéresse au sujet, comme à d’autres d’ailleurs : le yoga de la Kundalini, la mystique chrétienne etc... Mais celui-là ne va pas le lâcher. Ses rêves, précieuse source d’inspiration, l’y conduisent. Son inconscient l’aiguillonne et le presse de plus en plus. Le constat en forme d’aveu ne se laisse pas éluder comme dans ce rêve de l’année 1926 : « Nous voila maintenant prisonniers du dix septième siècle»3. La rencontre avec Richard Wilhem et son Secret de la fleur d’or l’engagent définitivement dans l’exploration. En 1926 Jung a cinquante et un ans. L’édition des deux tomes de Mysterium conjonctionis son œuvre maîtresse sera achevée en 1956, cinq années avant sa mort. Entre temps il aura constitué une somme alchimique qui n’a pas fini d’être exploitée. Psychologie et Alchimie paraît en 1943, La psychologie du transfert en 1946, Aïon en 1951, Les racines de la conscience en 1954.
Dire que cette somme a reçu l’accueil qu’elle mérite serait exagéré. Il fallait déjà digérer ce que Jung avait composé au préalable et notamment une typologie qui n’est pas des plus simples à manier, comprendre les vertus de l’hypothèse de l’inconscient collectif -dont Jung lui même retravaillera la définition tout au long de son œuvre- apprécier la présence et l’action des figures internes -instances ou archétypes- que sont animus et anima, au-delà des complexes personnels, etc..
Sans compter que dans le même temps la psychanalyse dite orthodoxe avait poussé ses feux. S’il était facile à un praticien de bonne volonté de conjuguer certains aspects des théories freudiennes et jungiennes -les complexes et les relations d’objets, l’ombre et le refoulé par exemple-, là ou Freud avait mené son monde, c’est à dire d’abord dans l’ontogénèse et le familialisme, en tout cas c’est comme ça qu’il avait été surtout compris, on ne faisait pas forcément grand cas des ressorts phylogénétiques de l’individuation.
Il fallait donc digérer un « premier » Jung, le situer dans l’ensemble de la psychothérapie où il n’était pas hégémonique, et lui-même, qui déjà avait largement relativisé l’intérêt d’une simple psychologie de la personnalité avec ses énoncés sur la dynamique du Soi, semblait tourner le dos à la psychopathologie et à l’orientation clinique en s’intéressant à l’apparition de symboles obscurs dans une tradition oubliée dont le langage allégorique, baroque et religieux avait tout pour effrayer une conscience moderne.
La réhabilitation de l’âme
Digérer donc ce premier Jung, puis se passionner pour ses descriptions du processus alchimique de transformation interne et ses repérages phénoménologiques des images qui apparaissent aux différents stades de ce développement. Cela n’était envisageable que dans la mesure ou l’on accordait quelque crédit à sa théorie des archétypes et où l’on postulait avec lui l’autonomie relative d’un inconscient qui non seulement préexistait à la conscience mais encore devenait une présence vivante et agissante avec laquelle il fallait compter. Cela n’était possible que si on prêtait une attention vigilante à son plaidoyer en faveur de l’âme dont il rappelait la puissance créatrice et imaginative, et sans laquelle tout travail sur les rêves devient une réduction ou un simple accompagnement contextuel.
Ce qu’il entendait par ce vocable, qui à certains paraissait tout à fait désuet, on peut aller le chercher dans le recueil L’âme et la vie conçu en 1945. L’âme dont il s’agit n’est pas une seule des fonctions de la conscience4, même si elle les colore et les influence toutes, pas plus qu’elle ne se confond avec l’inconscient dans lequel elle pérégrine pourtant beaucoup. Elle est essentiellement une médiatrice qui reçoit des informations de deux mondes. Cette âme qui vient de loin, qui s’enracine dans des passés révolus, qui semble donc ne pas être née d’hier, n’en est pas moins chevillée au corps et à l’histoire personnelle. Si elle ne se confond pas exactement avec l’âme éternelle de Platon, ni tout à fait avec l’âme formatrice d’Aristote, encore moins avec l’âme virginale et excessivement spirituelle souhaitée par le Christianisme, elle n’en est pas moins une fonction naturelle de l’être humain, occupant une position intermédiaire entre le corps et l’esprit et entre la conscience vigile et l’inconscient. Sur le plan clinique cette possibilité de médiation entre le moi et son ombre, entre le connu et l’inconnu, entre ce que l’on maîtrise et ce qui nous assaille, va bien sûr nous importer au plus haut point.
L’âme reçoit donc des deux opposés son information, elle évalue, elle souffre et nous remplit d’états, d’humeurs, de pressentiments, elle peut aussi contredire nos évaluations courantes et nos perceptions habituelles, affadir nos idéologies, contester l’affirmation de notre volonté, se désintéresser de nos ambitions personnelles, ou au contraire se réjouir, réveiller nos ardeurs et mobiliser des ressources quand tout semble fermé autour de nous. Clairement elle n’appartient pas qu’au milieu ambiant. Elle est reliée à un ailleurs sans être le moins du monde indifférente au contexte, à la problématique courante qu’elle semble avoir la capacité d’évaluer selon ses catégories, celles de la voie du milieu, celle de la totalité de l’être humain, et celle d’un devenir qui souvent nous reste obscur.
On ne peut bien sûr que s’émerveiller de la capacité de l‘être humain, lorsqu’il est uni à cette âme et parce que la relation à celle-ci a été relativement purifiée des passions, à aller puiser dans l’inconscient des richesses enfouies et à se relier à des schèmes organisateurs instinctifs et spirituels. Cette vérité de tous les temps se trouve inscrite dans la sagesse chinoise depuis la plus haute antiquité : « Tout homme peut au cours de sa formation puiser à la fontaine intarissable de la nature divine qui est l’essence de l’homme »5. On serait tenté d’ajouter : après un long travail, ou parce que des voies existent.
Son pouvoir de synthèse
Ce n’est cependant pas seulement l’intelligence profonde et la nature différente de l’âme qui peuvent retenir notre attention, lorsqu’elles s’imposent à nous pour élargir notre conscience et la rendre plus mobile. C’est aussi sa capacité de synthèse qui doit nous captiver, et il convient de bien suivre Jung dont les explorations alchimiques permettent d’insister sur ce point précis. L’âme, cette fonction imaginante, a la capacité de promouvoir, de tenter et de réussir des synthèses qui ne sont en aucun cas du ressort du seul discernement conscient et de l’analyse logique. On peut s’en réjouir car si cette « grâce » n’était pas disponible, si elle n’opérait pas, la personnalité et la sensibilité resteraient parfois dans un état de tension difficilement supportable et dans une crucifixion permanente. Il n’est pas difficile de supposer l’intérêt clinique du raccordement à cette puissance opératoire. L’absence de médiation comme l’impossibilité d’une synthèse entre deux partis antagonistes ne peut que déboucher sur un conflit : la névrose et ses projections, voire pire.
Son langage
Par dessus tout cette âme s’exprime en images. Jung le dit avec précision6, et il n’est de meilleur moyen de se relier à elle que de prendre en compte les rêves ou de la laisser travailler dans des imaginations actives. Les constats auxquels elle procède alors, les voies qu’elle emprunte et les images qui en découlent, pour être à égale distance de ce qui est intelligible et de ce qui est sensible, ses deux sources d’information, n’en affectent pas moins en retour tant l’esprit d’une personne, son discernement, que son corps.
Sur les rapports entre les rêves et l’inspiration beaucoup a été dit notamment par Marie Louise von Franz. Sur la fonction des images, sinon sur leur nature exacte, les spécialistes des neurosciences nous confirment aujourd’hui leur rôle en termes d’information et de reprogrammation. Quant aux correspondances psyché-matière, dont la reconnaissance permettrait qu’on prenne beaucoup plus au sérieux ces reflets ou ces indices des opérations qui se déroulent en nous que sont les images, il est possible que l’avenir nous réserve quelques surprises qui rapprocheraient encore les énoncés de ce que l’on explicite avec précision de ceux qui relèvent de la seule constatation de la correspondance entre les deux mondes. Tel n’est pas l’objet de cet ouvrage de tenter de faire un état des lieux de la recherche en ce domaine, encore moins de synthétiser la question. Son ambition est différente. Elle consiste d’abord à témoigner d’un constat d’efficacité de la thérapeutique par les images et les symboles lorsqu’on sait les lire ou se laisser saisir par elles pour faciliter leur accueil et leur métabolisation. Laquelle efficacité est largement appréhendable selon d’autres méthodes et modalités comme l’hypnose par exemple. On verra dans cet ouvrage comment la connaissance de la symbolique alchimique et du processus permet un autre travail des rêves que celui qui est généralement connu.