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Pour les psychothérapeutes, obligation est énoncée par le nouvel article de loi de suivre une formation théorique et pratique en psychopathologie clinique. Un décret en conseil d’État précisera les modalités d’application de l’article et les conditions de formation théoriques et pratiques. Cela pose plusieurs questions :
D’abord la psychopathologie c’est quoi ? Est-ce tout, ou seulement partie, d’un ensemble qui comprend : une nosographie, (par exemple le DSM), des théories du développement dit normal, complémentaires ou parfois concurrentes, un répertoire clinique assez vaste qui valide ou non ces théories.
Ensuite, est-il envisageable, en l’état actuel des moyens et des structures, de mettre sur pied des formations pratiques en psychopathologie clinique pour tous les psychothérapeutes concernés? Quels sont les lieux où elles pourraient être dispensées ? Enfin, mais ce point mérite plus qu’un survol, à quoi sert une bonne connaissance en psychopathologie clinique en psychothérapie?
Afin de définir une psychopathologie clinique qui puisse faire partie du tronc commun de la psychothérapie, doit on s’inspirer du DSM, qui, on le sait, est une classification et un essai de dépassement des multiples langues vernaculaires chères aux écoles et mouvances psychologiques ? DSM qui, pour des raisons avouables, a préféré l’empirisme et ne pas trop tenir compte de tout un patrimoine : celui de la tradition psycho-dynamique et développementale, en bref de la théorie psychanalytique et de ses dérivés. Sa limite est connue. S’il permet de faire un diagnostic, le DSM n’est d’aucun secours quand il s’agit de comprendre l’étiologie et la fonction psychique d’une pathologie. Or il s’agit précisément de cela en psychothérapie.L’American Psychiatric Association a beau affirmer qu’aucun des troubles mentaux contenus dans le DSM, à l’exception des troubles mentaux organiques, n’a d’étiologie établie avec certitude (et on peut supposer que l’APA s’appuie sur des statistiques et un ensemble d’opinions suffisamment nombreuses de personnes qualifiées), nous devons nous interroger. Est il possible de se passer des hypothèses des différentes théories du développement, quant bien même certains de leurs aspects peuvent paraître contestables, pour entendre, accueillir, sinon comprendre nos patients, et pour favoriser leur guérison ou leur cheminement vers une entiereté en les accompagnant de manière économique.
Nous sommes bien forcés de nous référer à ce qui a été théorisé de la psychogenèse pour étayer notre propre clinique, mais cela pose un autre problème. Les angles de vue différents, les présupposés, les origines et les tempéraments des auteurs dont se réclament les diverses écoles et mouvances psychologiques ont abouti à la création de différentes langues vernaculaires et de différents modèles qui alimentent autant de rejets, de contre sens et de contestations. Deux exemples, entre autres : Le même terme de « soi » n’a pas du tout le même sens dans la théorie post-freudienne des relations d’objet et en psychologie analytique. Le « self » des gestaltistes emprunte à ces deux concepts ou instances, etc… Ce que recoupe le vocable « inconscient » diffère sensiblement selon Lacan, Jung, Winnicott... sans compter ceux qui ne veulent pas en entendre parler. Les notions métapsychologiques diffèrent, les différents stades ou phases du développement libidinal, érotique, structurel, ou caractériel ne coïncident pas et n’ont pas la même importance chez les auteurs. Et cela bien sûr n’est pas neutre lorsqu’on se trouve face à une personne et à ses défenses. Dans un passé pas si éloigné chacun voyait midi à sa porte et ne tenait pas suffisamment compte des avancées des autres et il ne fût pas exceptionnel que certains chercheurs, tout au saisissement de leurs constatations, s‘acharnent à redéfinir ou à énoncer en d’autre termes ce qui avait parfois déjà été dit plus clairement par une autre école ou un courant de pensée marginalisé ou tombé en désuétude. On peut donc espérer un effet heureux de la réforme, le jour ou elle sera promulguée : faire dialoguer les différentes approches dans un esprit rigoureux d’ouverture. Si elle était captée par tel ou tel groupe de pression ou lobby intellectuel ce serait moins bien. Cela concerne autant les rapports entre psychiatres et psychothérapeutes, que la dynamique d’intégration qui sous tend le renforcement qualitatif de la psychothérapie, parfois éparpillée en fonction de l’utilisation d’outils et de postures différents.
Peut-on définir la pathologie de façon objective indépendamment du sens et d’une conception anthropologique qui privilégie la recherche de sens ? En France, la psychopathologie universitaire est, on le sait, très marquée par la théorie de Freud, par les travaux de ceux qu’on appelle les post-freudiens ainsi que par la relecture lacanienne. Dans l’ensemble, l’orientation est davantage psychanalytique que psycho-synthétique. La psychologie analytique jungienne qui pourrait en bien des points compléter, simplifier ou enrichir les théories qui bénéficient d’une plus grande publicité, ne bénéficie que d’une intégration au corpus et d’une diffusion universitaire restreinte. (Si l’on excepte ce qui concerne la position transférentielle ou les points de vue se sont un peu rapprochés, et la typologie jungienne qui a été plus ou moins intégrée à l‘enseignement courant.).Les notions d‘animus et anima qui devraient faire partie du bagage courant sont souvent mal comprises. Ce que le public, même cultivé, entend généralement sous le vocable « inconscient collectif » correspond la plupart du temps à un contre sens ou à une réduction)La tension vers l’individuation, la relation particulière conscient-inconscient, ce dernier senti aussi comme un réservoir d‘énergies archétypiques, l’axe moi-Soi, le processus de déstructuration puis de restructuration repérable dans le travail des rêves, tel que Jung l’a étudié dans ses grands ouvrages de psychologie alchimique, tous ces aspects ne sont pourtant pas d’un mince intérêt pour un clinicien.
En caricaturant, et sans pour autant méconnaître les risques aigus de décompensation dus à la rencontre de certaines circonstances et de certaines structurations psychologiques, on pourrait dire que la psychopathologie, qui est loin d’être une discipline définitivement fixée, offre un choix entre une nosologie sans levier thérapeutique et un ensemble de constats et d’interprétations - la psychogenèse et les théories du développement- tour de Babel où parfois ont scintillé les éclairs de l’ostracisme. J’exagère bien sûr ! Mais on voit qu’il pourra être complexe de définir ce que sera une bonne formation en psychopathologie, ainsi que les lieux où elle pourra être dispensée.Autres questions : que deviennent les psychopathologies dérivées des voies traditionnelles ou clairement énoncées par elles, par exemple celle des Thérapeutes et des Pères de l‘Église (Evagre le Pontique : les passions de l’âme)? Et quid de certaines traditions dont la diffusion s’accroît et dont l’anthropologie se distingue parfois de celle de la psychologie occidentale contemporaine, le bouddhisme notamment ? Les enseignements qui sont associés à ces voies de perfectionnement et de réalisation seront-ils reconnus ou pourront-ils être intégrés dans la théorie et la pratique de la psychopathologie ?Peut être donnerai-je l’impression de pousser le bouchon un peu loin mais, tout de même, si l’APA n’a pu parvenir à déterminer avec une marge de certitude suffisante l’étiologie des troubles psychiques ce n’est peut être pas seulement pour discréditer certains préjugés des psychothérapeutes et des psychanalystes et pour servir la cause des compagnies pharmaceutiques. C’est sans doute aussi parce que les symptômes sont surdéterminés et que cette surdétermination s’accroît au fur et à mesure que notre définition de l’homme s’élargit au delà de ses composantes pulsionnelles, somatiques et physiologiques. L’APA ne pouvait pas donner une meilleure démonstration de l’insuffisance d’une psychologie qui méconnaît la dimension spirituelle, pneumatique ou religieuse (non liée à une confession particulière) de l’homme. Peut être cela doit aussi nous inciter à relever le défi et à compléter nos efforts d’appréciation en termes de causalité par une optique plus finaliste, privilégiant le sens et la vocation d‘une vie humaine. Donc définir la genèse des troubles de toutes natures, en tenant compte d’un autre refoulé, d‘une carence symbolique, et d‘une perte de repères spirituels qui seuls peuvent nous brancher sur le « réél ».En clair, on devrait se demander si de très nombreuses pathologies (et certaines très sévères) ne proviennent pas du fait que nous ne regardons pas devant, que nous ne sommes pas en accord avec un projet de vie, ou que nous n’avons plus les moyens de le reconnaître, que nous nous soustrayons à une tâche, que nous fermons nos cœurs , ou nos esprits à des dimensions de l’être, sans parler des ravages exercés par notre perméabilité aux idées ambiantes normatives, massifiantes, et de façon générale écrasant l‘individu.Et l’on s’apercevra, avec le législateur, du moins on l’espère, que le diagnostic parfois fonction de l’étroitesse de notre regard et de notre inexpérience philosophique, que les voies dites spirituelles et les cures psychologiques se ressemblent plus qu’on ne le dit, que le défaut de « religio », qu’une définition trop exclusivement somatique, ou trop sociale, ou trop en termes de syndromes cliniques, de l’être humain, sont tout autant pathogènes que peuvent l’être (incontestablement) des frustrations précoces, un environnement familial pervers, des conditions socioprofessionnelles à la limite du supportable, des traumatismes, etc.. Et que tout cela peut venir nuancer ou modifier nos observations cliniques.
Bibliographie :