La Chine s’est depuis longtemps intéressée à la place de l’être humain dans la société  et plus généralement dans le monde dont il est un élément parmi d’autres. Ce ne sont pas les distinctions sociales, la compétition entre les groupes et la promotion de l’individu  qui ont fait l’objet de toute son attention, du moins pas à la manière sociologique européenne, mais bien plus la vocation et la responsabilité de chacun.   Les textes confucéens, nous dit Anne Cheng, « contiennent tout ce qu’un homme de bien doit savoir sur sa place dans la communauté humaine et dans le monde qui l’entoure ».  

On peut dire que Confucius, Kong Fuzi, vénéré maître Kong, (551-479 av) qui fût le grand compilateur, l’ordonnateur et le commentateur des Classiques de la sagesse ancestrale  « a introduit une forme d’humanisme et surtout une certaine conception de la culture humaine. » affirme t’elle encore. 

On ajoutera que la vision confucéenne de l’homme est sinon optimiste du moins très volontariste. Et qu’elle  est éminemment politique.

Les « Classiques », hautement vénérables, seront des sources d’inspiration et de réflexion individuelle ou collective, autant qu’un bagage culturel commun à l’élite chinoise. On  va les commenter, les interpréter et les méditer à l’infini.  Ils deviendront ainsi les piliers scripturaires de l’ordre impérial,  et le tronc commun du savoir indispensable pour tout candidat à la fonction publique. Cela au moins à partir de la dynastie Han ( -206) et de l’unification de l’empire après la période des « Royaumes combattants » et  pratiquement jusqu’à la fin du XIXème siècle

La sagesse sociale et politique que Confucius promeut est caractérisée par
- L’exigence morale et la volonté
- Le sens de l’étude 
- Le respect des traditions 
- L’amour d’autrui
- Les rites
- Et, last but not least, comme disent les jungiens, l’accord avec le ciel.
Elle n’est donc on le voit pas précisément libertarienne, mais par contre très écologique et surtout, c’est ce point qui mérite aujourd’hui d’être souligné, elle est très exigeante.

On lui a reproché, peut-être à tort, de figer la société chinoise. Sans doute a-t-elle connu le même sort que d’autres grandes traditions, d’être instrumentalisée ou exagérée. Notamment par les « légistes » ; qui postulant la nature mauvaise et corrompue de l’homme , ce qui n’était pas l’idée de Confucius,  préconisaient le retour exclusif aux lois, aux châtiments, et à la coercition pour gouverner.  Ainsi que par les élites dont elle était le bagage et qui avaient trop intérêt à ce que la société soit réglée de façon immuable, consolidant  leurs positions  sans que rien ne bouge.

Comme nous nous intéressons à l’action politique efficace sans qu’elle soit forcément dictatoriale, oppressive, et réactionnaire, nous rappellerons que selon Maître Kong seul un constant exercice sur soi permet de rendre efficace l’action. Cela est vrai évidemment pour le souverain. Cela ne l’est pas moins pour chacun d’entre nous.

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On a pris l’habitude d’opposer le confucianisme et l’enseignement du  Laozi (Lao Tseu). Ils n’en respectent pas moins une vérité que l’on retrouvera  dans la plupart des  contributions philosophiques de la tradition chinoise: 

La puissance doit d’abord être intérieure avant de rayonner dans le monde
(Et cela concerne toujours en premier chef le souverain)
La culture de soi est donc fondamentale.

Certes le confucianisme met beaucoup l’accent sur l’observation des rites : ceux-ci, énonce t’il,  élèvent l’esprit, cadrent la pensée, respectent les strates sociales, et d’une façon générale harmonisent les relations. On pourrait peut-être aujourd’hui et alors que l’ époque semble bien caractérisée par la  déconstruction et la provocation s’inspirer d’une telle « politesse ».

Le taoïsme, plus introverti, insiste sur  le fait de maintenir active en soi la partie vivante et génératrice. Il considère  que ce que nous appelons le corps est en fait un complexe psycho spirituel, un agrégat d’énergies « Qi » qu’il faut raffiner et concentrer dans leur réceptacle naturel, le cœur esprit, pour  en irriguer les organes des sens. « Le but étant de se défaire des désirs qui bloquent la circulation des influx vitaux.. et  empêchent (aussi) de répondre efficacement aux sollicitations extérieures », ainsi que le précise Stéphane Feuillas. La culture de ce « corps » est éminemment politique. Le taoïsme préconise on le sait le non agir et l’accompagnement des situations. Mais cet agir au moment juste est le résultat d’un long travail intérieur de méditation et de réflexion. Et l’on appréciera une telle ascèse préalable en la comparant à la démarche trop souvent excessivement volontariste et irréfléchie de l’Occident .

On constatera aussi l’importance de cette définition d’une nature énergétique, et de l’attitude religieuse qu’elle induit dans le néoconfucianisme. « La nature d’un être n’est autre que le principe, inscrit en lui par les énergies célestes, qui gouverne sa vie. »  Elle permet de bien sentir à quel point la vocation de l’homme est celle d’être un microcosme en correspondance avec le macrocosme.

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Après l’époque des royaumes combattants (453-221), et la période des Cent Ecoles (221-200) est confectionné un ouvrage  qui rassemble les écrits d’au moins douze écoles et qui peut être considéré comme le testament philosophique de l’Antiquité finissante. Printemps et Automnes de Lü Buwei (Lushi Chunqiu)

A cette époque l’école cosmologiste du Yin et du Yang est la plus représentative de l’état de la pensée. « Elle établit un parallèle minutieux entre le fonctionnement des forces naturelles et le comportement des humains », précise  Ivan Kamenarovic, renforçant la conviction d’une analogie et d ‘une correspondance entre l’ordre cosmique et l’ordre humain.

Encore faut-il la cultiver
Vaste programme qui permettra aussi de sentir quelle est  l’influence du bon et du mauvais souverain en observant les événements  heureux ou fâcheux qui se déroulent dans son royaume. Il n’est pas inutile de préciser qu’une telle leçon de choses pourrait avoir une valeur actuelle.  

Quelles sont les lois qui président à l’organisation des choses du monde ?
Quelles leçons peut-on tirer de l’enchaînement des événements ?

Le Chunqiu fanlu de Dong Zhongshu (195 115), convaincu par la tradition confucéenne traite de la légitimité et met également en parallèle les structures anthropologiques  et cosmologiques.  Dans son schéma cosmogonique (origine de l’univers) le Ciel, créateur, est au niveau suprême. Il est doté d’une volonté et d’une intentionnalité. Ce ciel c’est aussi la Nature. Et.. le Ciel et l’homme sont de la même espèce. L’homme possède tout ce que le Ciel a  et vice versa.
Une nouvelle dynastie reçoit son mandat du Ciel et elle en tire sa légitimité.
Mais seule une politique imprégnée d’humanité entraine l’apparition de signes naturels de bon augure…et, le Ciel peut retirer son mandat

« La politique est au cœur de la pensée chinoise, en raison de la place fondamentale que les penseurs accordent à l’homme dans le monde. 
L’homme est largement maître de son sort et il joue même un rôle fondamental dans la bonne marche du monde Un bon gouvernement garantit bien sûr, la stabilité sociale  , mais contribue aussi aux équilibres fondamentaux du cosmos ». Un mauvais entrainera des troubles sociaux avec pour conséquences inévitables  des dérèglements dans le rythmes naturels et les travaux des champs, et la famine » écrit Nicola Zuffery. 

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On ne le répétera jamais assez ; un Etat et une société pérennes doivent donc s’enraciner dans « la culture de soi » , travail destiné à tous et à chacun. C’est en réglant sa maison que l’on ordonne son pays.

Selon  Mencius (372-289) cité par Isabelle Sancho « la perfectibilité de l’homme est inscrite dans sa nature, par commandement ou mandat céleste. Il s’agit  donc de cultiver ce potentiel moral inné…en respectant sa nature propre. 

Et selon la version de Zhu XI  (XII ème siècle) de  La grande Etude, considérée comme une synthèse de l’idéal confucéen, unissant l’éthique et la politique individuelle « la culture morale doit être au fondement  de toute tentative d’agir sur autrui et sur le monde ».

Supposons que le prince rencontre Confucius, Mencius ou Lao Tseu au détour d’une rue. Qu’est-ce que cela donnerait ? 

Ca ne donnerait guère plus que par le passé. Confucius s’est en définitive refugié dans l’enseignement, faute de pouvoir infléchir la marche des évènements et après avoir été, tout de même, premier ministre ! Lao Tseu lui a pris  la tangente en passant la frontière de l’ouest.

Supposons que notre société des compétitions et des passions, du jeu des bons mots et des opinions, du persiflage et du dégoût, de la critique incessante, du mécontentement mécanique, de l’envie  et du ressentiment, devienne philosophe.
C’est-à-dire que le plus grand nombre possible s’individue et rende Dieu conscient.
Qu’est ce que cela pourrait donner ?

Est-ce que la puissance de l’Esprit peut réguler celle du pouvoir et de l’argent ?

1 P 75 Nicolas Zufferey

 

Bertrand